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Le 22 mars 2016, deux explosions terroristes frappent à quelques minutes d'intervalle l'aéroport national et  la station de métro Maelbeek. A 7h58, deux kamikazes se font exploser dans le hall des départs de l'aéroport de Zaventem. Une heure plus tard, à 9h11, une autre bombe souffle la station de métro Maelbeek, dans le quartier européen de la capitale belge. Le bilan est lourd : 32 morts et plus de 300 blessés. Une cérémonie en hommages aux victimes est prévue au mémorial qui leur est dédié, rue de la Loi à Bruxelles. A l'occasion de ces commémorations, Christelle Giovannetti, une survivante des attentats, se souvient. Si pour de nombreux citoyens ce 22 mars 2016 paraît si lointain, pour la plupart des victimes, c'était hier.

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Métro Maelbeek - © DR

Une victime héroïque

 

Christelle Giovannetti, 37 ans aujourd’hui, était dans la voiture n°1 du métro lorsque la bombe à exploser à Maelbeek. « Je suis partie un petit peu en retard ce jour-là. Un collègue m’a téléphoné pour me dire qu’il y avait eu une explosion à Zaventem. Lorsque je suis arrivée sur le quai, tout le monde était sur son portable en train de suivre les infos. Je suis montée dans le métro, j’ai mis mes oreillettes et j’ai appelé un ami. Nous étions en pleine conversation, lorsqu’un choc violent nous a tous secoués. J’ai eu l’impression que la voiture se soulevait sur la rame. Puis, il y a eu un éclair avec une espèce de souffle et … le noir total. On ne voyait strictement rien. Pas un bruit, mis à part un homme qui criait. Les passagers ont commencé à s’éclairer le visage avec leurs Gsm. C’est là que j’ai vu que j’étais couverte de débris. J’avais aussi l’impression désagréable dans la gorge d’avoir avaler des tonnes de poussières. Le conducteur est alors sorti de sa cabine et nous a demandé d’évacuer par l’une des fenêtres et de marcher le long du mur du tunnel pour rejoindre la station et remonter vers l’extérieur ». 

 

Christelle est une des dernières à sortir de la voiture. « On a laissé passer les femmes avec enfants d’abord, il n’y avait plus personne après moi. On ne voyait toujours rien, mais suffisamment pour deviner des membres arrachés au sol, des lambeaux de chair humaine ... »

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Christelle Giovannetti - © DR

Lorsque Christelle passe devant la voiture N°2, elle remarque une silhouette sortir et s’écrouler. « Elle était pleine de sang, elle avait la main arrachée, plus de pantalon. Je suis revenue en arrière et je l’ai aidée à se relever en lui indiquant la sortie ». Mais des plaques bougent encore sous les décombres. Christelle ne peut se résoudre à partir. « Je suis rentrée dans la voiture et c’est là qu’un homme est venu m’aider. Nous avons soulevé un gros morceau de tôle et nous avons pu dégager une jeune femme. Je saurai bien après que c’était Orphée. Elle avait un trou dans la joue et des morceaux de métal dans le corps ». Le courage de Christelle ne s’arrêter là. « Je me suis encore faufilée dans un espace très étroit dont j’ai extrait des débris pour aider un homme à sortir ».

 

C’est là que les premiers secours vont arriver. « Ils m’ont fermement demandé de ne pas de sortir, mais je ne voulais pas partir. »Finalement, Christelle obtempère et il était grand temps. Elle saura, par la suite qu’elle n’avait plus que 30% d’oxygène dans les poumons contre 70% de gaz de bombe. « La remontée a été angoissante. J’ai hurlé, j’ai appelé au secours, mais j’étais seule, dans un épais brouillard. Les escalators n’avaient plus toutes leurs marches. Je frôlais les parois des murs pour me guider et j’en enfin vu la sortie ».

 

Arrivée sur le trottoir, Christelle va s’effondrer avant d’être prise en charge par les services de secours et conduite à l’hôpital Brugmann. On lui diagnostiquera une perte totale de l’ouïe au niveau de l’oreille gauche.

 

Des plaies toujours à vif

 

Pour Christelle, les séquelles physiques ne sont pas le plus grave à supporter. Il y a surtout, 6 ans plus tard, un traumatisme psychique omniprésent et des plaies toujours à vif, tant le parcours judiciaire et administratif est chargé de lourdeurs pour les victimes. Elle nous écrit ceci :

 

« Nous, citoyens du monde, avons été frappés dans notre chair, dans notre cœur, dans notre sentiment de liberté et de sécurité. Nous avons été pris pour cibles, pour une idéologie qui va à l’encontre de nos valeurs. 


Ce matin-là, j’allais simplement travailler, et je me suis retrouvée sur un trottoir glacé malgré la journée ensoleillée, emmitouflée dans une parka de ski qu’un passant m’avait mis sur les épaules car je grelottais, blessée, traumatisée, terrorisée. Je me disais qu’ils avaient réussi à semer la terreur en moi, ce sentiment qui m’était inconnu auparavant. Ils m’avaient eu, moi, cette jeune femme française de 31 ans, pleine de vie, résidant en Belgique depuis 12 ans à l’époque. J’avais le sentiment qu’ils avaient gagné, emportant avec eux mon insouciance, et déposant dans ma tête et dans mon ventre toutes sortes d’images indélébiles et cauchemardesques.


Un homme s’est assis à côté de moi sur ce trottoir, sa jambe et son bras touchaient mon corps. En temps normal cela m’aurait dérangé qu’un étranger soit si proche de moi physiquement. Mais j’avais besoin que l’on me serre à ce moment-là, comme pour me rattacher à quelque chose, me rendant à nouveau vivante. Les moins blessés ne cessaient de se regarder, sans paroles, nous nous comprenions. Autour de nous, le chaos.

 

Cet étranger sur le trottoir est devenu un proche, un compagnon d’attentat, pourtant nous en reparlons peu. Lui n’a fait aucune démarche, il ne fait même pas partie de la liste des victimes. Il était pourtant dans le métro ce matin-là. Son nom a été relevé par la police dans l'hôtel Thon parmi les blessés. Il a été transporté dans le même hôpital que moi, mais sa résilience se veut différente. 

Pour bon nombre d’entre nous, ces 6 années ont été éprouvantes. Et malgré le chemin parcouru, une route est encore à tracer. Nous avons dû nous relever, panser nos blessures tant bien que mal. Nous avons dû renouer avec les uns avec les autres, mais aussi avec nous-même.

 

Nous avons dû faire face et assumer l’impact que ces bombes ont eu dans nos vies, dans nos maisons, dans notre société. Nous avons dû extérioriser, se rencontrer, nous rencontrer, pleurer, douter, recommencer, débattre. Nous avons dû affronter maintes épreuves, méconnues et difficiles à raconter. Nous avons dû réapprendre à vivre, construire pierre après pierre ce qui est pour nous l’Après 22 mars. 


Ces 6 années ont été un combat, à la fois physique, moral, personnel, familial, et quotidien. Ces 6 années ont également été un combat administratif, financier, très loin d’être résolu pour un grand nombre de victimes. Nous n’avons pas reçu l’aide nécessaire, le soutien indispensable pour nous faciliter les démarches, nous faire connaître et reconnaître nos droits, nous indemniser à la juste valeur de nos blessures. Je remercie l’association Life4Brussels qui s’est construite autour de ce vide, pour combler ces failles. 


Cette année marque l’ouverture du procès, d’une envergure historique pour la Belgique. Nous sommes trop de victimes pour toutes nous connaître. Nous nous voyons pour certain.e.s lors des commémorations, dans nos vies, via les associations, ou diverses organisations. Mais, sans nous connaître toutes, nous formons la grande famille des victimes, des Parties civiles. C’est notre histoire, à la fois commune et si spécifique à chacun.e, qui va être portée devant la Cour d’assises cette année.

Ce sera pour nous tou.te.s, une nouvelle forme de confrontation avec « Notre 22 mars ». Ce sera pour notre pays, pour le peuple belge, un procès important, qui reposera les questions de nos valeurs nationales et de notre sécurité citoyenne. Ce sera un nouveau long chapitre, qui je l’espère, permettra par ses réponses, mais surtout par la solidarité qui est à l'œuvre, une forme d’apaisement et de résilience pour certain.e.s.


Je pense à toutes les victimes qui souffrent encore tellement aujourd’hui et se battent sans relâche, dans leur corps et leur cœur. Je nous souhaite à tou.te.s, beaucoup de courage pour ce sixième anniversaire. Je terminerai par une phrase de Gandhi, ce grand défenseur de la vérité, assassiné par un extrémiste : la voie de la non-violence véritable exige beaucoup plus de courage que celle de la violence. »

 

Christelle Giovannetti

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